Dévoiler en place publique ses inventions… et ses complexes
13/11/2012 dans histoire, lycéens, mathématiciens, mathématiques savantes, prépa 1ère année, prépa 2ème année, tout public
Débordement d’imagination
Aux 15ème et 16ème siècles, la Renaissance italienne déferle sur les arts, les techniques, et aussi sur les mathématiques. Le déclin de l’empire byzantin fait converger vers l’Italie des érudits qui apportent avec eux les précieux travaux algébriques des mathématiciens arabes. Dans l’enthousiasme de ce bond culturel universel, les mathématiques deviennent un art quasi populaire : sur les places de Mantoue, de Vérone, de Padoue, de Venise on se passionne pour des joutes intellectuelles, où des savants s’affrontent à résoudre des équations.
L’émulation est forte et, dans la foulée, l’équation du 3ème degré est résolue (Tartaglia, 1535 et Cardan, 1547) par une méthode faisant intervenir une quantité discriminante (un peu comme le « delta » du 2ème degré). Mais dans certains cas, les trois solutions existent alors que les formules de Cardan butent sur la racine carrée d’un nombre négatif. On mesure l’obstacle, on tergiverse, et un jour on ose : Rafaele Bombelli (1572) invente un nombre de carré -1, appelé « piu di meno », utilisé avec des règles de calcul judicieuses dans les formules de Cardan. L’intrus imaginaire disparaît sans laisser de trace dans l’expression des solutions. D’autant plus génial qu’on ne fait guère mieux aujourd’hui !Les vieilles terreurs
Pas si vite, disent les mathématiciens effrayés par cette entorse aux règles du calcul algébrique (un carré doit être positif). On redoute surtout l’incohérence. S’ensuit pour plusieurs siècles une controverse qui fait resurgir les vieilles terreurs grecques devant l’irrationnel.
Une double problématique menace cette nouveauté :
1) Est-elle incontournable ? Très vite on se rend compte que ces nombres imaginaires lèvent de nombreux obstacles dans la résolution des équations et même qu’ils fournissent solutions à l’équation polynomiale degré
: c’est le théorème de d’Alembert (1746) énoncé en réalité par Girard (1629) et complètement démontré par Gauss (1799). On dit à présent que
est la clôture algébrique de
.
2) Comment l’intégrer à l’univers mathématique ? Dans un domaine scientifique où la géométrie prévaut, c’est ce biais qui vient naturellement à l’esprit : Argand (1806) puis Gauss (1831), voient dans le nombre complexe un avatar abstrait du point du plan. Cette image « commercialisable » installe les nombres complexes dans un statut mathématique mais il manque alors une véritable construction algébrique de
Constructions possibles des complexes
En prépa, il n’est pas demandé de construire , mais on peut étudier, en problème, divers corps isomorphes qui en sont des représentations. Voici trois exemples :
1- Hamilton (1846) pose une multiplication convenable sur x
muni de son addition usuelle : un peu laborieux pour établir la structure de corps (1).
2- On peut présenter comme une sous-algèbre de
de dimension 2 (matrices de similitudes) : belle application du cours première année sur les matrices (2).
3- Je préfère la construction de Bourbaki (pressentie par Cauchy en 1847) car c’est une jolie « recette express » qui fait les délices des étudiants de MP, MP* : quotientez l’anneau par l’idéal engendré par
. Ce polynôme étant irréductible, l’idéal principal est maximal, donc l’anneau quotient devient un corps que vous appellerez « corps des nombres complexes » (3).
Et les équations de la Renaissance dans tout cela ? Il ne faut pas croire que la recherche s’est arrêtée au 3ème degré. Mais la suite est une autre histoire que je vous conterai dans un prochain billet.
Notes :
(1) C’est un bon exercice à faire en début de 1ère année de prépa. Les lois de composition sont :
et
x
L’élément neutre de la multiplication est et on a
(2) Il s’agit de matrices de la forme . Vous pouvez démontrer que l’ensemble de ces matrices lorsque
et
décrivent
est une sous-algèbre de
qui est un corps.
L’élément neutre de la multiplication est et on a
=
(3) Un idéal I d’un anneau A est maximal si pour tout idéal J de A, I J entraine J=A. On utilise ici une relation de Bezout entre
et tout polynôme qui n’en est pas un multiple.
L’élément neutre est ici et on a